Écoles en forêt : l’éducation par la nature

Imaginez des élèves qui passeraient la journée en plein air à jouer et explorer. Originaires du Danemark, les écoles en forêt rencontrent un succès croissant. Santé, sociabilité, autonomie… cette pédagogie par la nature offre de nombreux bienfaits pour le bien-être et le développement des plus jeunes.

Des bambins qui grimpent aux arbres, scient du bois ou sautent à pieds joints dans les flaques d’eau. Alors que la plupart des petits écoliers à travers le monde étudient dans des salles de classe, eux passent leur journée dehors quelle que soit la météo. Baptisées « forest schools » ou « skovbørnehaver » (littéralement « jardin d’enfants de forêt »), ces écoles s’appuient sur une pédagogie alternative promouvant le contact avec la nature.

Quand la forêt devient une salle de classe

Héritières du mouvement initié par l’école Laona dans le Wisconsin à la fin des années 20, les écoles en forêt se sont développées au Danemark trente ans plus tard avec l’implantation de la première skovbørnehaver dans la banlieue de Copenhague en 1952. Bénéficiant du soutien du gouvernement, ces établissements se sont rapidement multipliés à travers le pays : alors que de plus en plus de femmes commençaient à travailler, les écoles dans la forêt nécessitaient peu d’infrastructures, permettant ainsi d’accueillir un nombre croissant d’enfants. A cela s’ajoutait une croyance dans les vertus de la nature. Aujourd’hui, 20 % des petits Danois sont scolarisés dans l’une des 700 écoles en plein air du pays.

Le phénomène a essaimé au-delà des frontières : on compte aujourd’hui 3 000 écoles dans la forêt en Europe, dont 2 000 en Allemagne. Les forest schools ont fait leur apparition au Royaume-Uni dans les années 90, et elles rencontrent également un joli succès en Suisse et en Autriche. A l’échelle internationale, le concept séduit jusqu’en Australie et en Corée du Sud.

Des enfants de plus en plus sédentaires

Vous vous souvenez quand on était gamins ? On passait nos journées dehors, à explorer, s’inventer des histoires et vivre toutes sortes d’aventures. On rentrait chez nous maculés de boue, les joues rouges à force d’avoir couru, sauté, grimpé. Les choses semblent avoir bien changé et les enfants d’aujourd’hui sont de plus en plus sédentaires. La faute aux écrans, à un emploi du temps surchargé, mais aussi à la peur de l’insécurité qui est désormais associée à l’extérieur : la nature est devenue synonyme de danger, et l’on tend à cantonner les plus jeunes dans des espaces clos, balisés, persuadés qu’on pourra mieux les surveiller et les protéger.

Selon un rapport de l’Institut de veille sanitaire (INVS) datant de 2015, 40 % des enfants âgés de 3 à 10 ans ne jouent jamais dehors pendant la semaine. Seul un tiers des enfants passant deux heures ou plus par jour devant la télévision joue régulièrement à l’extérieur, contre 56 % pour les autres. Les enfants en surpoids ou obèses jouent moins dehors que ceux de corpulence normale (33 % contre 52 %). La Fédération française de cardiologie tire la sonnette d’alarme : en 40 ans, la capacité cardiovasculaire des adolescents a baissé de 25 %. Alors que les autorités sanitaires préconisent une heure d’activité sportive quotidienne jusqu’à 18 ans, la moitié des jeunes ne ferait pas suffisamment d’exercice.

Permettre à l’enfant de se dépenser, de maintenir et développer ce lien avec son environnement extérieur, c’est justement l’objectif des écoles dans la forêt.

Apprendre par la nature

Kids gone wild. Reportage de la chaîne australienne SBS sur les écoles en forêt danoises

Quelle a été votre réaction en voyant un enfant perché dans un arbre à plusieurs mètres au-dessus du sol ? Et cet autre manier son couteau ? Avouez, vous avez eu un petit mouvement de recul, et vous vous êtes dit qu’il fallait être complètement inconscient pour laisser des petits manipuler des outils aussi dangereux. Le principe des écoles dans la forêt repose sur une idée simple : la nature est un terrain de jeu et d’apprentissage idéal. Les enfants sont libres d’explorer leur environnement pour comprendre le monde qui les entoure. Ils apprennent par le corps et les sens, et ils sont à même de faire leurs propres découvertes par le biais de l’expérimentation. Au Danemark, cet enseignement réservé aux enfants de 2 à 6 ans fait partie intégrante du système éducatif. Les encadrants suivent le programme qui fait la part belle au développement personnel, à la sociabilité, à l’apprentissage du langage ou à l’expression artistique.

La pédagogie par la nature s’articule autour de deux valeurs : la liberté et la confiance. Elle s’ancre dans l’idée que les enfants devraient pouvoir être libres de leurs mouvements, et que si on leur fait confiance ils seront prudents et s’auto-responsabiliseront. Un peu simpliste objecterez-vous. Les accidents sont pourtant très rares : en 17 ans, un seul enfant a fini à l’hôpital, parce que son père lui avait roulé sur le pied avec sa voiture. Le comble ! Alors que l’école est entourée d’eau, les enfants ne s’en approchent pas, parce qu’ils savent qu’ils n’en ont pas le droit. Comme si, investis de la confiance des adultes, ils s’auto-disciplinaient.
Laissés libres certes, mais pas laissés à eux-mêmes pour autant. La législation prévoit un encadrant pour 12 élèves. Pour ce qui est du maniement des outils, les enfants n’y ont accès que lorsque les adultes les jugent prêts, et une fois qu’ils sont bien sûrs qu’ils savent s’en servir sans danger. Car après tout, si on ne les laisse pas essayer ils n’y arriveront jamais.

Interrogés, les parents ne semblent pas préoccupés pour autant. Seraient-ils tous inconscients eux aussi ? Ou simplement confiants ? Nombre d’entre eux justifient leur choix par leur peur que le monde virtuel n’éloigne leurs enfants du monde naturel. Ils n’ont en revanche aucune crainte que ces derniers ne parviennent pas à s’adapter à un enseignement « traditionnel » une fois rentrés en primaire. Les instituteurs s’entendent d’ailleurs pour dire qu’ils ne notent aucune différence entre les élèves ayant fréquenté une école dans la forêt et ceux qui ont suivi une maternelle plus classique.

La nature, une source essentielle au bon développement de l’enfant

Les études se rejoignent pour montrer combien la nature est essentielle au développement humain. En se coupant de cette dernière, on se déconnecte de tout contact avec le sensible : notre odorat, notre toucher… Trop sédentaires, les enfants sont davantage soumis au risque de surpoids, de stress et de dépression. Ils sont également plus sujets à la myopie du fait du manque d’exposition à la lumière naturelle.

Dans son ouvrage Pour une école buissonnière (Hesse, 2010), Louis Espinassous pointe les dangers de cette « quête du risque 0 » et souligne une double impasse : en soustrayant nos enfants à toute fréquentation du danger en milieu naturel, on les prive d’une éducation à la prise de risque, on enlève tout attrait pour ce genre d’activités et on en vient à les supprimer. On ne donne pas à l’enfant la possibilité de tester ses limites, de tomber et de recommencer, de prendre confiance en lui. Si on lui dit que tout est dangereux, alors rien n’est faisable pour lui, ce qui le conduit à douter de ses capacités. Une analyse partagée par le biologiste canadien Scott Sampson, auteur de Comment élever un enfant sauvage en ville, qui explique que lorsqu’un enfant joue dehors, il fait face à des défis variés, il est conduit à prendre des décisions, résoudre des problèmes, et qu’à force d’expérimenter il a moins peur de faire des erreurs.
Pour Anne-Caroline Prévot, écologue et chercheuse CNRS au Museum d’histoire naturelle, jouer dehors, explorer de façon libre et sans contrainte est indispensable pour que la nature entre dans l’identité personnelle des enfants, qu’elle fasse partie d’eux et qu’ils soient plus à même d’en prendre soin. Ces expériences sont aussi fondamentales que les connaissances, car « on ne protège que ce qu’on aime. Sans cela la théorie ne sert à rien ».

Ecole en pleine nature
La forêt, un terrain de jeu idéal pour apprendre la confiance en soi

Les bienfaits des écoles dans la nature

Dès lors, les écoles en forêt constituent-elles une réponse afin d’encourager nos enfants à se reconnecter à la nature et de les aider à grandir et s’épanouir ? Les données sont nombreuses pour vanter les bienfaits de cette pédagogie alternative :
– Les enfants sont plus détendus et moins stressés.
– Libres de dépenser leur énergie, ils sont plus attentifs et acquièrent de meilleures facultés de concentration.
– Ils sont plus autonomes et débrouillards.
– Ils développent leur motricité et leur coordination.
– Ils ont une plus grande confiance en eux : Face à une nature changeante et imprévisible, les enfants sont tenus de s’adapter. A travers elle, ils apprennent à mesurer et mieux gérer leur prise de risque. En outre, la confiance que les adultes placent en eux leur permet de grandir et d’apprendre à s’auto-discipliner.
– Laissés libres d’expérimenter, ils peuvent aller au bout de leurs projets et développer leur imaginaire, ce qui les rend plus créatifs.
– Habitués à évoluer en petits groupes, ils développent l’entraide, l’esprit d’équipe et la coopération.
– Connectés à la nature, les enfants sont sensibilisés de manière directe à la préservation de l’environnement et acquièrent une conscience environnementale accrue.
– Enfin, le fait d’évoluer à l’extérieur tout au long de l’année renforce leur système immunitaire. Moins souvent malades, ils sont également moins sujets aux allergies.

Ecole en forêt pédagogie de la nature
Autonomie, sociabilité, créativité : les bienfaits des écoles en pleine nature sont nombreux

Ecoles en forêt : un modèle éducatif à importer en France ?

Si le Danemark fait figure de précurseur et qu’un nombre croissant de pays s’intéressent de près à la pédagogie de la nature, les initiatives de ce type restent peu nombreuses en France.

Selon la journaliste Moïna Fauchier-Delavigne, auteur de L’enfant dans la nature. Pour une révolution verte de l’éducation (Fayard, 2019), cela s’explique notamment par des normes très contraignantes. L’enseignement à la nature ne figurant pas au programme, ce type de démarche ne peut émaner que d’initiatives individuelles, or les enseignants craignent l’opposition des parents d’élèves et la survenue d’un accident. Le démarrage timide des écoles dans la forêt tiendrait également au fait que notre enseignement privilégie la théorie et la pensée immobile. « Nous sommes encore loin d’une approche holistique de l’éducation. Le corps, la créativité et les émotions ont encore très peu de place à l’école » explique la journaliste. Des propos qui rejoignent ceux d’Alexandre Pachulski, cofondateur de l’Autre école.

Si les choses semblent difficiles à mettre en place dans le cadre de l’Education nationale, on note toutefois un dynamisme certain de la part d’acteurs privés. Le Réseau Français de pédagogie par la nature recense une quinzaine de structures et une quarantaine de projets dans l’Hexagone.

La première école de la forêt a ouvert ses portes en septembre 2018 à Marsac, en Charente, à l’initiative d’une éducatrice spécialisée et d’une psychologue pour enfants. La maternelle de la forêt de Chantemerle accueille une douzaine d’élèves tout au long de l’année. L’emploi du temps se partage entre activités en plein air le matin et enseignements plus académiques l’après-midi.

A Marsac, la première école de la forêt

Dans la forêt de Mareil-Marly (Yvelines), la Forest International School Paris prône elle aussi la pédagogie par la nature. Les classes sont multi-niveaux et vont jusqu’au collège. Des initiatives privées qui ont un coût : entre 160 et 350 euros par mois à Chantemerle, jusqu’à 24 000 euros par an à la Forest International School Paris. On est loin de l’école républicaine.

Portées par des enseignants motivés, certaines initiatives voient néanmoins le jour avec le soutien de l’Education Nationale. En 2010, Crystèle Ferjou, alors enseignante en maternelle à Pompaire (Nouvelle-Aquitaine) a expérimenté la classe en extérieur. Une matinée par semaine, elle emmenait ses élèves dans un terrain communal. « Dehors, il s’agissait de leur permettre de vivre des explorations sensorielles, au contact direct avec les éléments naturels pour qu’ils se construisent un rapport vrai à leur corps, à leurs sens, à leur intelligence, à la vie et aux autres. Les enfants jardinaient avec de vrais outils, pour développer leur motricité fine et mobiliser tout leur corps. […] Ils développaient leur capacité d’équilibre, de coordination, de coopération. Les occasions de manipuler, de coopérer, sont décuplées dehors ». Devenue conseillère pédagogique, elle a formé une soixantaine d’enseignants qui ont à leur tour mis en place le concept d’école en nature.

Permettre aux élèves de se (re)connecter à la nature et d’apprendre du monde qui les entoure, telle est la promesse des écoles en forêt. Dans un monde hyper connecté où l’on a parfois l’impression que tout va trop vite, ce retour aux fondamentaux offre aux plus jeunes la chance de se développer à leur rythme en harmonie avec leur environnement. Jouer, tester, oser, n’est-ce pas le propre de l’enfance après tout ?

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