Wild : Marcher pour se retrouver

Wild : marcher pour se retrouver

Comment reprendre le contrôle de sa vie quand elle semble vous glisser entre les doigts ? Wild, c’est l’histoire vraie de Cheryl Strayed, une jeune femme déboussolée qui entreprend un périple de plus de mille kilomètres sur l’un des plus célèbres sentiers de randonnée des Etats-Unis. Un cheminement autant physique que psychique au cours duquel elle affrontera les fantômes de son passé pour faire la paix avec elle-même et trouver sa voie. Un récit de reconstruction et de résilience avec pour toile de fond la beauté sauvage de l’Ouest américain.

Tout commence par un guide posé sur un présentoir à la caisse d’un supermarché. La photo de couverture – un sommet enneigé se reflétant dans un lac aux eaux cristallines – attire l’œil de la narratrice, qui le feuillette avant de le reposer. De retour chez elle, une idée folle germe dans son esprit. Ce guide, c’est celui du Pacific Crest Trail (Chemin des crêtes du Pacifique – PCT), un sentier de randonnée de plus de 4 000 kilomètres qui s’étend de la frontière mexicaine à la frontière canadienne. Sur un coup de tête, alors qu’elle n’a ni expérience ni entraînement, elle décide de partir.

A 26 ans, Cheryl Strayed est à la croisée des chemins. Depuis le décès de sa mère d’un cancer foudroyant quatre ans plus tôt, sa vie se désagrège. Elle tente d’oublier son chagrin en multipliant les rencontres sans lendemain, sombre dans la drogue, et son mariage – seul élément à peu près stable de sa vie – vole lui aussi en éclats. A première vue, l’idée d’entreprendre cette randonnée apparaît comme la dernière d’une longue série de mauvaises décisions. Cette aventure va bouleverser sa vie.

Pendant des mois, elle potasse son guide, devenu sa Bible, économise pour acheter le matériel nécessaire pour sa randonnée, à commencer par son sac. Un sac si gros et si lourd qu’elle ne parviendra même pas à le hisser sur son dos le jour du départ. Baptisé « Monster », il est un substitut de maison, mais surtout une métaphore du chagrin, de la solitude et de la culpabilité que la jeune femme porte sur ses épaules. Il est son lien au passé, et à mesure qu’elle marche vers son avenir, le sac s’allègera. Elle apprendra à se délester du superflu au fil des rencontres, mais surtout elle apprendra à vivre avec, et ce passé encombrant lui paraîtra chaque jour un peu plus supportable.

Cheminer : suivre un chemin à pas lents et réguliers, marcher
Fig.: Evoluer lentement

Les débuts sous douloureux, insupportables même. Il faut dire que Cheryl n’est pas une grande marcheuse, encore moins une grande sportive. Elle parcourt difficilement les premières dizaines de kilomètres, pliant sous le poids du sac et la chaleur, les pieds meurtris, se demandant ce qui a bien pu lui passer par la tête pour entreprendre un tel périple. Alors qu’on s’attend à chaque page à la voir faire demi-tour, elle ne lâche rien, mue par une force intérieure qui prend peu à peu le dessus sur les doutes et la souffrance. Au fil des étapes qui s’enchaînent, au fil des rencontres, Cheryl prend confiance.

« Je comptais devenir la femme que je voulais être, et retrouver la petite fille que j’avais été. […] Redevenir celle que j’avais été autrefois ».

Cheryl Strayed sur le PCT

Si le choix d’entreprendre une randonnée de cette ampleur peut surprendre, il est en réalité logique pour la narratrice : originaire du Montana, elle a grandi dans une maison au confort très sommaire, isolée en pleine nature. En perte de repères, elle décide de retrouver ce qu’elle connaît mais qu’elle a oublié au fil des années : retourner à la nature, c’est se reconnecter à des sensations familières, et revenir à l’essentiel.

Assommée par la fatigue et la douleur physique, Cheryl en oublie sa vie chaotique, la désintégration de sa famille et l’échec de son mariage. Plus rien n’existe, plus rien n’a d’importance. Son seul objectif désormais, c’est d’avancer, de mettre un pied devant l’autre. Aller de l’avant, quoi qu’il arrive. Chaque pas de plus est une reconquête.  

 « Il n’y avait pas un jour où la monotonie ne finissait pas par prendre le dessus, où la seule chose à laquelle je pouvais penser, c’était la difficulté physique, quelle qu’elle soit ».

Cheryl trouve dans la nature environnante une force insoupçonnée. Elle écrit à propos des fondateurs du PCT :

« C’était cette force qui les avait poussés à lutter envers et contre tout pour que ce chemin existe, cette même force qui nous propulsait vers l’avant, les autres randonneurs et moi, lors des journées les plus difficiles. […] C’était lié à la sensation qu’on éprouve quand on marche en pleine nature. Quand on marche pendant des kilomètres sans autre raison que de contempler l’accumulation d’arbres, de prairies, de montagnes, de déserts, de ruisseaux, de rochers, de fleuves, d’herbes, de levers et de couchers de soleil. C’était une expérience puissante et fondamentale ».

Si la beauté de la nature est source d’inspiration, l’environnement n’en demeure pas moins hostile. Brutal même. Ici pas moyen de se défiler. Jouer le jeu du chemin c’est en accepter les règles.

« Bien souvent je me trouvais contrainte de faire ce qui me plaisait le moins. Il n’y avait pas d’issue, pas de déni possible. »

Notre héroïne marche seule, c’est l’une de ses règles et elle s’y tient. Seul, on ne peut compter que sur soi. Plusieurs fois, Cheryl craint pour sa vie. Elle rencontre des animaux sauvages, fait face à des chutes de neige inhabituelles pour la saison. Une peur viscérale, physique, la saisit, et sa survie ne tient qu’à sa capacité à la surmonter pour continuer à avancer. Livrée à elle-même, Cheryl trouve au fond d’elle les ressources pour affronter l’adversité. Elle accueille la difficulté pour la dompter, et gagne en force intérieure. Jour après jour, elle apprivoise cette solitude qui la terrorisait avant son départ pour finir par la chérir.

« Peut-être qu’en effet j’étais la personne la plus seule du monde. Mais peut-être que c’était bien ».

Les longues heures de marche en solitaire sont aussi propices à l’introspection. A mesure qu’elle apprivoise le chemin et que son organisme s’habitue à l’effort, les pensées se bousculent entre deux chansons qu’elle se fredonne. Ses vieux démons cheminent avec elle mais désormais, au lieu de les chasser, elle leur donne la parole pour mieux s’en détacher. Alors qu’elle avait interrompu ses études de Lettres pour veiller sur sa mère malade, Cheryl se reprend à penser à ce cursus inachevé. Son désir d’écriture – qu’elle avait refoulé après le décès de cette dernière – refait surface, et elle sent l’inspiration revenir. Elle entend la voix de son roman, et un beau jour elle s’installe à la table d’un camping au milieu d’une clairière et se met à écrire.

C’est une nouvelle jeune femme qui atteint Cascade Locks, dans l’Oregon, au terme d’un périple de plus de 1 700 kilomètres. Une arrivée qui sonne non pas comme une fin, mais bel et bien comme un départ.

« Merci, ai-je pensé. Merci. Pas seulement pour cette longue marche, mais pour tout ce que je sentais enfin fusionner en moi ; tout ce que le chemin m’avait appris et tout ce que je ne savais pas encore, mais qui était déjà là, quelque part ».

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