Qu’ont en commun Steve Jobs, Rafael Nadal, Thomas Edison et J.K Rowling ? Ils ont tous échoué avant de réussir. Mieux, ce sont leurs échecs qui leur ont permis de réussir, car ils ont forgé leur ténacité, les ont poussés à se remettre en question et se réinventer pour mieux rebondir. Dans Les Vertus de l’échec, le philosophe Charles Pépin nous invite à considérer nos fiascos non pas comme une faiblesse mais comme une force et une chance. Un petit traité de sagesse qui fait écho à la série documentaire de Netflix, Losers.
Il y a quelques mois, j’ai lu une interview de Maurice Levy, ancien PDG de Publicis, dans laquelle il racontait son “plus bel échec”. Le titre m’a interpellée. On s’attendrait à lire “le plus gros échec” ou “le pire échec”. Non. Le plus bel échec. Plus étonnant encore, ce dernier expliquait à quel point cet échec – la fusion manquée avec Omnicom en 2013 – avait été instructif, allant même jusqu’à déclarer qu’il lui avait davantage appris que ses réussites. Si ces propos peuvent surprendre, c’est car nous avons généralement une vision négative de l’échec. Il est pourtant riche en enseignements, pour peu qu’on soit prêt à se poser les bonnes questions.
“Il y a les échecs qui induisent une insistance de la volonté, et ceux qui en permettent le relâchement ; les échecs qui nous donnent la force de persévérer dans la même voie, et ceux qui nous donnent l’élan pour en changer. Il y a les échecs qui nous rendent plus combatifs, ceux qui nous rendent plus sages, et puis il y a ceux qui nous rendent simplement disponibles pour autre chose.”
Charles Pépin
Echouer pour mieux apprendre
Si avoir échoué est mal vu en France, aux Etats-Unis c’est au contraire un signe d’audace. A tel point que la Silicon Valley voit fleurir les “fail con”, des conférences consacrées à l’échec où des entrepreneurs viennent raconter leurs déboires, comme un combattant exhiberait ses blessures de guerre. Car échouer, c’est avoir osé. Et plus l’on échoue jeune – à un âge où l’on est capable d’en tirer des leçons – plus l’on est susceptible de réussir. Mieux vaut échouer vite et se poser les bonnes questions que de réussir sans comprendre pourquoi.
Charles Pépin raconte qu’outre-Atlantique, les banques sont plus enclines à prêter de l’argent à des entrepreneurs ayant déjà échoué : elles estiment en effet que ces derniers ont plus de chance de réussir à l’avenir car ils seront en mesure d’éviter les embûches. On croit rêver. A l’inverse, le philosophe explique qu’au fil des rencontres avec des entrepreneurs et salariés de l’Hexagone ayant vécu un échec professionnel, il a pu observer que ceux qui n’avaient jamais connu l’échec auparavant (au cours de leur enfance ou de leurs études) étaient ceux qui avaient le plus de mal à s’en relever.
Echouer, c’est apprendre, et même apprendre plus vite. En 1999, un jeune espagnol de 13 ans perd la demi-finale du tournoi de tennis des Petits As contre Richard Gasquet. Il s’appelle Rafael Nadal. Par la suite, les deux joueurs se rencontreront à quatorze reprises. Le majorquin gagnera les quatorze matches. Au cours des premières années de sa carrière, Rafael Nadal a connu beaucoup d’échecs. Loin de le décourager, ceux-ci l’ont rendu plus fort. Il a analysé le jeu de ses adversaires et s’est forgé une technique unique. Il est probable qu’il ait davantage appris en une défaite qu’en dix victoires.
“Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends”
Nelson Mandela
Dans la série Losers, disponible sur Netflix, huit sportifs reviennent sur l’échec le plus marquant de leur carrière. Parmi eux figure le champion de curling Pat Ryan. Après une défaite au championnat canadien en 1985, ce dernier a perfectionné une stratégie qui lui a permis non seulement de rester invaincu pendant de nombreuses années, mais également de révolutionner toute sa discipline. Aussi agréables soient-ils, les succès sont souvent moins riches en enseignements que les échecs.
Echouer pour mieux se connaître
Rater ne signifie pas être un raté. Si l’échec est aussi douloureux, c’est bien souvent car il fissure l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, notre image sociale. Mais parfois cette identité sociale nous coupe de notre identité profonde. Surmonter l’échec nécessite de redéfinir qui l’on est vraiment.
Échouer nous donne l’opportunité de tester nos désirs, éprouver notre motivation, renforcer notre conviction que la voie empruntée est bien celle que l’on souhaite suivre. C’est lorsque je confronte ma conviction à une conviction contraire que j’en prends pleinement conscience. Il faut qu’une autre conviction vienne nier la mienne pour que je trouve enfin tous les arguments pour la défendre. L’échec nous pousse à nous questionner sur nous-mêmes, et ce faisant, il nous permet d’affirmer notre caractère et de renforcer notre détermination.
“Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme”
Winston Churchill
Si l’échec est une sacrée leçon de vie, c’est aussi car il nous apprend l’humilité. Humilité vient du latin “humilitas”, dérivé de “humus”, la terre. Echouer, c’est redescendre sur terre pour réapprendre à viser le ciel. En nous offrant l’occasion de mesurer nos limites, l’échec nous engage sur un terrain plus sûr et nous enseigne la sagesse.
Avant d’être contraint à démissionner d’Apple, l’entreprise qu’il avait lui-même fondée, Steve Jobs était devenu un être arrogant, ne doutant jamais de lui, n’écoutant personne et incapable de se remettre en question après l’échec du premier Macintosh. Lors du discours devenu célèbre qu’il prononça devant les étudiants de Stanford en 2005, il déclara : “Je ne l’ai tout d’abord pas vu comme ça, mais je pense maintenant que le fait d’avoir été renvoyé d’Apple a été la meilleure chose qui puisse m’arriver. Cela m’a libéré, et permis d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie… Ce fut un médicament affreux mais je pense que le patient en avait besoin”.

Echouer pour se réinventer
Si nous vivons mal l’échec, c’est car nous croyons qu’il nous apporte une réponse sur ce que nous sommes. Mieux vaudrait le voir comme une façon de nous montrer ce que nous pourrions devenir. Quand J.K Rowling débute les aventures d’Harry Potter, elle cumule les échecs tant sur le plan sentimental que professionnel. Elle voit alors dans sa période de chômage forcée l’occasion de changer de vie et de se consacrer enfin à l’écriture. Ne disposant pas d’un mode de garde, elle profite des siestes de sa fille et de la nuit pour donner naissance au petit sorcier. Lorsqu’elle est enfin publiée (après 12 refus !), elle comprend que ce qu’elle avait considéré comme un échec – la perte de son emploi et la fin de son couple – lui a en réalité permis de se consacrer à sa vocation, ce dont sa vie d’avant, pourtant plus réussie en apparence, l’avait détournée.
“Certains échecs sont moins des impasses que des carrefours”.
Charles Pépin
Échouer, c’est aussi admettre que l’on a peut-être choisi la mauvaise voie et bifurquer. C’est une prise de conscience difficile, mais l’accepter et aller de l’avant témoigne d’une forme de sagesse et nous ouvre le champ des possibles. Mieux vaut tirer tous les enseignements d’un échec et se rendre disponible pour autre chose que de s’entêter sans espoir de succès. Pendant longtemps, Serge Gainsbourg a aspiré à devenir peintre avant de changer de voie et de faire carrière dans la chanson. On peut dire que ça lui a plutôt bien réussi !
Dans un témoignage poignant, l’ancien boxeur Michael Bentt raconte à quel point il haïssait ce sport que son père le forçait à pratiquer. Il connaît l’échec et l’humiliation avant de devenir champion, mais le succès pour lequel il s’est donné tant de mal ne lui apporte aucune joie. Un jour, il s’effondre sur le ring. Lorsque les médecins lui apprennent qu’il ne peut plus boxer, c’est un soulagement. Quelques années plus tard, il décide de suivre un cours d’écriture car cela l’a toujours attiré. Il est approché par un grand journaliste sportif qui finit par le recommander sur le tournage d’un film. Aujourd’hui, Michael Bentt travaille avec les plus grands réalisateurs et entraîne des stars. De son propre aveu, être mis K.O a été ce qui lui est arrivé de mieux car, aussi douloureuse que cette défaite ait pu être en termes d’ego, elle lui a permis de se libérer en faisant tomber le masque qu’il portait depuis des années. Tout comme la défaite a un goût amer, certains succès peuvent être vécus comme des échecs car ils sont une infidélité à nous-mêmes. Réussir sa vie, c’est avant tout être fidèle à son désir.

Oser échouer pour pouvoir réussir
Multipliant les références à la philosophie et les exemples piochés dans le sport, la culture ou les sciences, Charles Pépin invite le lecteur à considérer l’échec comme une expérience positive nous permettant de trouver nos forces et nos ressources pour nous rapprocher de la réussite. Parvenu au terme de son ouvrage, il nous exhorte à l’audace : on peut passer sa vie sans rien oser, à ne faire que des choix raisonnables, mais on échoue alors à se connaître vraiment. L’audace, c’est la preuve qu’on a le sens du risque, qu’on est capable de prendre de véritables décisions et pas uniquement de faire des choix logiques. L’audace ne nous délivre pas de la peur de l’échec, mais elle nous donne la force d’agir malgré cette peur. S’il y a indubitablement un coût associé à l’action, celui de l’inaction est bien plus élevé encore, car à force de ne pas oser échouer, on échoue à vivre.