Paradoxe : n.m. Association de deux faits, de deux idées contradictoires.
On a beau être conscients que notre voiture pollue, on prend le volant pour aller chercher le pain. On a beau savoir que le Nutella est bourré d’huile de palme, comment résister ? Nos armoires ont beau être pleines à craquer, on continue d’acheter des vêtements… Si l’écologie s’est frayée un chemin dans notre quotidien, cette prise de conscience charrie son lot de paradoxes. Comment faire face à nos contradictions ? Comment nous engager sans renoncer à notre confort individuel ? Eléments de réponse avec l’ouvrage de Grégory Pouy, auteur du podcast Vlan!
Une longue prise de conscience environnementale
Insoutenable paradis, c’est le récit d’un cheminement. A 43 ans, Grégory Pouy est un exemple de réussite – au sens où la société l’entend. Issu d’un milieu modeste, il est le premier de sa famille à faire des études supérieures. Devenu spécialiste des stratégies marketing, il travaille avec des marques prestigieuses et enchaîne les conférences aux quatre coins du monde… Ses activités professionnelles lui permettent de gagner (très) confortablement sa vie, de consommer sans compter et de partir en vacances dans des endroits paradisiaques. A première vue, Grégory a tout pour être heureux. Et pourtant…
Progressivement, il se rend compte que le mythe de la réussite matérielle est un leurre, et cette prise de conscience crée un décalage croissant entre son activité professionnelle et sa compréhension du monde. Dans un post publié sur Linkedin, il s’interroge : “A la fin de ma vie, pourrai-je être fier d’avoir permis à des marques d’obtenir plus de followers sur Instagram ou de vendre plus de produits ? […] Difficile de ne pas réaliser que mon métier, exécuté comme je le pratique, participe au problème plus qu’il n’aide à le résoudre”. Dès lors, comment se réinventer pour donner plus de sens à son action ? Comment “se réconcilier avec ses contradictions sans tout envoyer balader” ?
Coming out écologique
Grégory Pouy n’est pas le premier à faire son “coming out écologique”, mais à la lecture de son ouvrage, on est frappé par sa sincérité et son humilité. Sa prise de conscience a été lente, parfois douloureuse. Comment accepter en effet que tous les schémas qui ont guidé votre vie et votre carrière se révèlent soudainement caducs ?
“Est-ce que je me suis trompé pendant tant d’années ? Je viens d’une famille où l’on votait à droite et l’écologie n’était absolument pas une préoccupation durant ma jeunesse. Fort de mon éducation et de la pression sociétale, je ne faisais pas attention. J’étais bien trop occupé par ma réussite sociale, par mon confort de vie. Aujourd’hui encore, j’ai des questionnements nombreux. Je n’ai pris conscience des choses que petit à petit, comme beaucoup de gens.”
Le regard qu’il porte sur notre société et sur lui-même est sans complaisance. “Nous sommes des hamsters qui courons dans une roue sans trop savoir après quoi, mais simplement parce qu’on nous a dit qu’il fallait courir pour en avoir le plus possible. Le plus de quoi ?” Progressivement, il prend de la distance avec le récit qui nous fait croire que bonheur rime avec succès, possession et pouvoir. Lucide, il conclut “La société d’abondance est abondante de choses majoritairement inutiles”.

Retrouver du sens
Lancés dans une course effrénée, nous avons perdu de vue l’essentiel. Nous nous interrogeons sur notre utilité, sur la façon de remettre du sens dans notre quotidien.
Cette quête de sens passe avant tout par la nécessité de retisser le lien : lien aux autres, lien à la nature mais aussi lien à soi. Pas étonnant que les deux principaux moteurs d’un changement de vie soient d’une part la recherche de sens par le travail, et d’autre part le retour à la nature, le besoin de se reconnecter à notre environnement.
Selon Grégory Pouy, les défis auxquels nous devons répondre aujourd’hui ont été causés par la perte de ces liens, et notre mode de vie ne fait qu’empirer les choses. On se déconnecte de soi-même en poursuivant des buts qui ne nous apportent pas le bonheur escompté – argent, réussite sociale etc., et l’on s’éloigne des autres. C’est encore plus vrai dans les grandes villes qui, si elles offrent tout le confort dont nous pouvons rêver, ont tendance à appauvrir les liens. Selon l’auteur, la seule chose qui permette réellement de donner du sens, c’est la communauté, le fait de vivre au milieu de personnes auxquelles on se sent connecté. Donner du sens, c’est créer du lien avec les autres.
Face au défi climatique, comment s’engager ?
Nous portons tous une part de responsabilité dans le dérèglement climatique par notre simple mode de vie et nos choix non éclairés ou trop rapides. Les actions individuelles, même limitées, participent à un changement positif. “Notre challenge à tous et toutes est d’accélérer le mouvement” en nous engageant concrètement. Consommer (et polluer) en conscience est l’une des clés de ce changement, non pas pour nous culpabiliser, mais pour nous rendre compte de notre impact, et nous encourager à faire des efforts ou à trouver des alternatives.

Si cette prise de conscience écologique l’a conduit à modifier sa manière de travailler et de consommer, Grégory Pouy admet toutefois ne pas être prêt à sacrifier son “bien-vivre” matériel. C’est là le paradoxe : nous ne parvenons pas à renoncer à notre confort au plan individuel, mais nous avons pourtant la certitude que ne rien changer est dramatique. Dès lors, comment détruire les schémas anciens pour vivre ensemble sans renoncer à l’essentiel ? “Confronté à ses propres contradictions, chacun peut faire le choix de changer de vie, pour retrouver du sens autant que pour mettre en adéquation ses actes et ses convictions”.
Vers une nouvelle spiritualité de société
Au-delà de l’angoisse qu’il peut générer, le défi climatique est une incroyable opportunité de changement. Les enjeux auxquels nous devons faire face nous imposent de remettre en cause notre système de valeurs. Ensemble, nous devons élaborer un nouveau mythe fondateur qui constituera le socle d’une société réinventée, loin de l’écologie punitive et de la culpabilisation permanente.
“Il nous faut donc bâtir de nouveaux récits sur ce qu’est le bonheur ou encore le succès, redéfinir la croissance, la performance, la gouvernance et de manière plus générale ce que c’est de vivre au 21ème siècle”.
Fort des réflexions nées au fil de son cheminement et de ses échanges avec des scientifiques, sociologues, économistes ou chefs d’entreprises dans le cadre de son podcast Vlan!, Grégory Pouy dresse une série d’axes pour “dessiner ce nouveau rapport au monde”.
Parmi eux :
* la relation féminin-masculin
* la recherche de sens et le développement personnel
* le collectif vs l’individualisme
* le contentement vs l’hyperconsommation
* le localisme vs le globalisme
* le slow vs l’optimisation
Si les citoyens sont au cœur de cette nouvelle spiritualité de société, celle-ci doit s’accompagner de davantage de courage de la part de nos représentants politiques – appelés à prendre des décisions parfois impopulaires mais nécessaires, et d’une mutation profonde des entreprises. Grégory Pouy estime en effet que les marques ont “un pouvoir majeur sur la société” car elles ont les moyens d’influer sur les valeurs des consommateurs et leurs comportements, tant en créant des récits collectifs vecteurs de sens qu’en proposant une offre adaptée aux enjeux environnementaux.
Avec Insoutenable paradis, Grégory Pouy livre le récit d’un cheminement personnel jalonné de questionnements et de paradoxes dans lequel beaucoup d’entre nous se reconnaîtront. Au fil des pages, il nous invite à faire un pas de côté pour reconsidérer notre définition du bonheur et trouver le juste équilibre entre responsabilité et confort individuel. Résolument optimiste, il réaffirme notre capacité à agir individuellement comme collectivement pour façonner un nouveau modèle de société à même de faire face au défi climatique.
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