Nous sommes de plus en plus nombreux à rêver de partir vivre à la campagne, et le confinement n’a fait qu’amplifier une tendance déjà bien amorcée. Recherche d’une meilleure qualité de vie, besoin de se reconnecter à la nature, envie de mettre davantage de sens dans son quotidien, les motifs de quitter la ville sont multiples. Dans Exode urbain : manifeste pour une ruralité positive, Claire Desmares-Poirrier, installée en Bretagne depuis dix ans, nous invite à sauter le pas.
La campagne, nouvel eldorado ?
Bruyante, polluée, surpeuplée, la ville ne fait plus rêver. Autrefois promesse d’opportunités et de réussite sociale, elle ne représente plus cet eldorado qui a poussé tant de ruraux vers les métropoles. Dans un mouvement de balancier, c’est désormais la campagne qui attire un nombre croissant de citadins en quête d’une meilleure qualité de vie.
Selon un sondage Ifop, vivre à la campagne représente la vie idéale pour 81 % des Français. Le confinement n’a fait qu’accentuer cette tendance, conduisant un nombre croissant d’entre eux à envisager sérieusement de sauter le pas. Près d’un Français sur trois affirmait récemment avoir l’intention de quitter la vie urbaine pour la campagne. Un phénomène qui s’observe en particulier chez les cadres : 68 % d’entre eux se disent prêts à partir au vert, à condition toutefois de pouvoir télétravailler. 36 % privilégieraient alors la campagne, et 69 % changeraient même de région.
Exode urbain : ouvrir le champ des possibles
Changer de vie et changer le monde
J’ai rencontré Claire sur les bancs de Sciences-Po Lille. Une fois son diplôme en poche, elle a travaillé pour les Verts et multiplié les engagements militants comme humanitaires. Un bureau dans une tour de la capitale, un quotidien entre Lille et Bruxelles. Et puis ce sentiment d’abord ténu qui grandit. L’impression de ne pas être alignée, en accord avec ses valeurs. Le salaire confortable qui ne suffit pas à compenser ce décalage. Et la décision radicale, il y a dix ans, de tout quitter pour partir s’installer dans un petit village breton près de Redon avec son mari. Ensemble, ils créent une activité de production de tisanes et infusions bio, et transforment l’ancienne étable en café-librairie afin de faire de leur ferme un lieu “agri-culturel” ouvert sur le monde.
“Nous cherchons tous un sens à notre vie. À la fois une raison d’avancer, mais aussi le moyen de nous épanouir pleinement”
Claire Desmares-Poirrier
Un parcours qui parlera à beaucoup, tant les exemples se sont multipliés au sein de la génération Y ces dernières années. Si ce choix est mieux compris aujourd’hui, autant vous dire qu’il y a dix ans leur entourage les a pris pour des doux dingues. Quitter un job stable, bien payé, pour un avenir incertain, il fallait en avoir du cran. Une sacrée dose d’espoir aussi.
Partir relevait à la fois d’une quête intime – avoir plus de temps pour ses proches, être en phase avec ses valeurs – et d’un désir d’être, par son travail, acteur du changement. Non seulement modifier son quotidien, mais aussi apporter sa pierre à un modèle durable de société. Changer de vie et changer le monde. Le parcours dont Claire témoigne aujourd’hui s’est construit à la force du poignet, avec la certitude chevillée au corps que ce choix de vie, malgré les épreuves, était le bon.

Retrouver du sens
Suis-je à ma place ? Mon travail a-t-il du sens ? Que signifie, pour moi, réussir sa vie ? C’est ce questionnement qui pousse un nombre croissant de citadins à prendre la clé des champs. Claire et Adrien accueillent régulièrement des aspirants à l’exode urbain dans leur ferme, et c’est aussi pour répondre à leurs interrogations qu’un projet d’ouvrage a germé.
Envisager de tout quitter pour s’installer à la campagne, c’est être prêt à déconstruire un certain nombre d’éléments qui ont structuré notre parcours. C’est sortir d’un schéma ancré en soi, de l’idée que nous nous faisions de notre avenir, des espoirs que nos proches avaient pu placer en nous. “Attends, mes parents m’ont payé une école de commerce, c’est pas pour finir potière dans les Cévennes”. Cela nécessite de s’extraire des normes sociales et d’appréhender la notion de réussite sous un prisme différent, en privilégiant le sens que l’on souhaite donner à sa vie plutôt qu’un statut ou un salaire.
Il y a une forme de confort à subir des choix qui ne sont pas réellement les nôtres. Vivre en ville, faire de longues études parce qu’on est bon élève… Inconsciemment, on a tendance à reporter la responsabilité de ce qui nous arrive sur d’autres, que ce soit nos parents ou nos profs. En faisant des choix engageants, on se confronte à son désir. Partir, c’est devenir acteur de son destin.

Questionner ses besoins
Une telle décision ne se prend pas à la légère. Faire le bilan de sa vie en ville est le préalable à toute réflexion. Logement, alimentation, qualité de vie, emploi… Envisagez ce changement sous tous les aspects. Listez ce dont vous ne voulez plus et ce qui vous attire dans la vie rurale.
Si le logement est le premier moteur pour quitter la ville, l’emploi en constitue le principal frein. Qu’est-ce qui vous plaît ou ne vous plaît plus dans votre job ? Le télétravail est-il envisageable ? Un départ sur deux est motivé par une naissance ou l’envie de fonder une famille. Si tel est votre cas, que souhaitez-vous transmettre à vos enfants ? Quel temps voudriez-vous leur consacrer ?
Depuis le début de son aventure, Claire tient un carnet de rêves dans lequel elle inscrit ses envies, et elle encourage ceux qui se projettent en tant que néo-ruraux à faire de même. Une maison à retaper, un potager, du temps pour soi… Bien sûr, tout ce que vous écrirez ne se réalisera pas, mais il faut imaginer ce futur au vert, le rêver. Partir ne doit pas être uniquement motivé par le désir de fuir la ville, mais par celui de bâtir une nouvelle vie à la campagne.
Le monde d’après s’écrit à la campagne
Territoires ruraux : simplicité et sobriété
Vivre à la campagne bouleverse le rapport à la possession : alors que l’injonction à consommer est omniprésente en ville, ruralité rime davantage avec sobriété. La tentation disparaît sans pour autant créer de vide, remplacée par un quotidien plus simple mais plus authentique, davantage dans l’être que dans l’avoir.
La vie rurale permet de dépasser cette fausse promesse de bonheur portée par la société consumériste, et de redonner sa juste place à l’humain. Plurielle, la campagne constitue un espace ouvert et inclusif qui respecte les individus et offre aux néo-ruraux une place au sein de la communauté. On y noue des relations sincères, et les amis sont de tous âges et de tous horizons. La solidarité est omniprésente, prêt et troc permettent de contourner le système marchand classique et entraide rime avec transmission de savoir-faire.
“S’éloigner de la pression consumériste de la ville modifie fondamentalement la notion de besoin. La ruralité est intrinsèquement synonyme de simplicité de vie”
Déconstruire les préjugés sur le monde rural
Au-delà de partager son expérience, Claire entend à travers son ouvrage déconstruire les préjugés sur la campagne pour nous encourager à changer notre regard. Oui, il y a des emplois à la campagne. Non, tous les travailleurs ne sont pas paysans. 10 % des emplois sont liés à l’agriculture, et 20 % à l’industrie. Les territoires ruraux ont besoin de tous les métiers, que ce soit dans la santé, l’enseignement ou les services à la personne. Il n’est donc pas indispensable de vouloir devenir paysan ou artisan pour s’y installer, et le développement du télétravail rend possible cet exode urbain pour un plus grand nombre de travailleurs tertiaires.

Le changement climatique nous oblige à repenser les territoires, l’augmentation des températures et la pollution rendant les villes de plus en plus invivables. La crise du coronavirus a été un véritable révélateur de l’incapacité de l’espace urbain à répondre aux enjeux de demain, et la campagne se veut une alternative viable face à ces défis. Militer en faveur d’une ruralité positive, c’est affirmer qu’un autre avenir est possible dans nos campagnes, que nous pouvons y écrire ensemble un nouveau récit afin de bâtir une société plus heureuse et plus résiliente où chacun trouvera sa place.
Fer de lance de la “rural pride”, Claire Desmares-Poirrier appelle de ses vœux un exode urbain massif afin de construire ensemble le monde d’après. Plus qu’un refuge le temps du confinement, la campagne doit aujourd’hui incarner l’espoir d’une vie nouvelle.
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